Alors que l’exploration dans le bloc n° 9 vient de commencer, le Liban va compléter les études sismiques du bloc voisin, qui avaient été reportées à cause du litige frontalier avec Israël.

Le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau, Walid Fayad, a annoncé jeudi au cours d’une conférence de presse à son ministère le lancement d’une étude sismique en trois dimensions (3D) des fonds-marins du bloc n°8 de la zone économique exclusive (ZEE) au large des côtes libanaises, dont les fonds marins sont potentiellement riches en gaz naturel.

Le ministre a indiqué que la licence en question a été attribuée aux sociétés Geoex MCG, basée au Royaume-Uni, et Brightskies Geoscience (BGS), établie en Égypte, lors d’une procédure de gré à gré pilotée par le ministère. Il a ajouté que l’opération devrait donner les moyens à l’État de renforcer l’attractivité du Liban auprès des compagnies pétrolières, à qui il espère pouvoir octroyer de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation.

La licence est en outre attribuée au moment où démarre le forage d’exploration entrepris dans le bloc n° 9 par le consortium composé du français TotalEnergies, de l’italien Eni et de QatarEnergy (qui a remplacé le russe Novatek en début d’année). Ce consortium détient depuis 2018 les premières licences d’exploration et d’exploitation accordées par le Liban pour ce bloc qui jouxte le n° 8 et le bloc n° 4 situé plus au centre de la ZEE. Il espère y découvrir des réserves suffisantes de gaz pour en commencer l’extraction.

Les blocs n° 8 et n° 9 font, eux, partie de la région directement affectée par le litige qui opposait le Liban à Israël sur le tracé de la frontière maritime et qui a été réglé par un accord historique conclu le 13 octobre 2022. Depuis, les deux pays se partagent notamment le champ gazier de Qana.

À quoi sert l’étude sismique en 3D ?

L’étude sismique en 3D est une technique d’imagerie des sols qui permet aux compagnies pétrolières d’avoir une meilleure lecture du potentiel en hydrocarbures des zones étudiées et limitent ainsi les risques pour elles d’effectuer des forages qui ne déboucheraient sur aucune découverte. Le déploiement d’une plateforme de forage nécessitant de lourds investissements et coûts, les sociétés qui effectuent ce type d’étude vendent généralement cher les résultats aux compagnies qui sont potentiellement intéressées à acquérir le droit de prospecter sur un territoire donné.

L’imagerie sismique en 3D est généralement effectuée après un autre type d’étude, en 2D, qui est assimilable à une première échographie des sous-sols et en utilisant une autre technologie spécifique. « Les résultats combinés de ces deux études offrent le plus haut niveau de visibilité aux compagnies pétrolières qui prospectent sur la composition des sous-sols et leur permettent de choisir les points de forage les plus optimaux. Elles leur font gagner aussi beaucoup de temps, mais ne réduisent cependant pas à zéro le risque de ne rien trouver », explique à L’Orient-Le Jour Marc Ayoub, chercheur associé à l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth.

La licence accordée est limitée à l’exécution de ce type d’étude de surface, a précisé à L’OLJ Wissam Chbat, président du conseil d’administration de l’Autorité de l’énergie (la Lebanese Petroleum Association ou LPA). Walid Fayad a rappelé pendant la conférence de presse que les licences accordées dans ce cadre ne sont pas exclusives et que rien n’empêche d’autres sociétés de candidater pour obtenir une autre licence pour effecteur le même type d’étude en parallèle des sociétés déjà engagées.

Comment se déroulent les opérations ?

Également présents au ministère, le vice-président de Geoex MCG exécutif, Jean-Philippe Rossi, et le PDG de BGS, Nizar Abou Ismaïl, ont présenté aux journalistes les grandes étapes et les enjeux de cette étude qui sera lancée d’ici à la fin de l’année et dont les résultats définitifs seront disponibles aux abord de la fin du premier semestre 2024. L’étude couvrira les 1 400 km² du bloc n° 8 et le navire spécialement équipé pour ce type d’opération – le PXGEO 2 – devrait arriver au Liban entre la mi-novembre et la mi-décembre de cette année. La durée effective du balayage prend un mois et demi environ et les données seront ensuite compilées pour élaborer la cartographie des sous-sols.

C’est la société elle-même qui finance l’étude. Un investissement qu’elle n’a pas communiqué mais qu’elle se remboursera en fournissant les données collectées aux compagnies pétrolières intéressées, selon les explications fournies pendant la conférence. L’État récupérera en outre un pourcentage (non communiqué par les intervenants) sur les données vendues, comme l’a souligné le ministre. « C’est la société qui assume le risque que l’étude ne soit pas vendue », a précisé Wissam Chbat à L’Orient-Le Jour.

Pourquoi maintenant ?

Si le Liban a entamé dès les années 2000 les études sismiques en 2D et 3D de sa ZEE depuis les années 2000 – c’est la société Petroleum Geo-Services ou PGS qui s’en était chargée –, le balayage de l’essentiel du bloc n° 8, dont une grande partie se situait dans la zone contestée par le Liban et Israël, avait été reporté, comme l’a rappelé le ministre pendant son intervention. « En revanche, l’étude en 3D du bloc n° 9 a déjà été complétée, dans la mesure où seuls 10 % de sa superficie était inclus dans la zone contestée, alors qu’une importante partie du bloc n° 8 pouvait être affectée », a détaillé Marc Ayoub. Il ajoute que l’étude sismique en 2 dimensions a été réalisée sur l’ensemble de ce dernier bloc comme sur le reste des zones concernées de la ZEE, se référant aux cartes publiées sre le site de la LPA.

Marc Ayoub ne s’étonne d’ailleurs pas que le ministère de l’Énergie ait attendu jusqu’à maintenant pour compléter l’étude en 3D du bloc n° 8, alors que l’accord avec Israël a été signé il y a plusieurs mois. « Le fait  que le Liban dispose de données sismiques très récentes pour le bloc n° 8 limitera le risque qu’il en cède les droits d’exploration et d’exploitation à bas prix et va renforcer le jeu de la concurrence entre les acteurs intéressés », estime-t-il.

Une analyse que partage également Laury Haytayan, directrice pour la zone MENA de l’association Natural Resource Governance Institute (NRGI), dont la mission est d’aider à améliorer la gouvernance dans le secteur des pays qui disposent de ressources naturelles. « Les études sismiques sont le principal, sinon le seul, argument de vente des autorités libanaises pour attirer les compagnies pétrolières. C’était vrai avant, quand le Liban a commencé à vouloir confirmer le potentiel en réserves d’hydrocarbures de sa ZEE et ça l’est toujours aujourd’hui », estime Laury Haytayan.

Elle rappelle en outre que le premier forage d’exploration effectué par le consortium dans le bloc n° 4 effectué en 2020 n’a pas débouché sur la découverte d’un gisement de gaz qui soit exploitable et que le processus d’exploration du bloc n° 9 a été retardé par le litige frontalier. Le fait que le Liban soit en crise multidimensionnelle depuis 2019 a aussi contribué à décourager les sociétés potentiellement intéressées. « S’ils sont positifs, les résultats de l’étude sismique en 3D du bloc n° 8 combinés à ceux du forage d’exploration du bloc n° 9 peuvent potentiellement changer la donne et stimuler plus particulièrement l’appétit du consortium mené par TotalEnergies », anticipe Laury Haytayan.

Fin juin, la LPA a prolongé une nouvelle fois et jusqu’au 2 octobre le délai en cours pour les dépôts de dossier dans la procédure d’attribution. De l’autre côté de la frontière, Israël en est déjà à son 4e round d’attribution de licences et a déjà commencé à exploiter certains gisements de gaz.

Laury Haytayan souligne à cet égard un autre facteur important qui pourrait influer sur l’attractivité de la partie sud de la ZEE libanaise ces prochains mois : le fait que le bloc 72 de la ZEE israélienne qui jouxte la frontière n’a toujours pas été attribué. « Il était inclus dans le 3e round, mais le processus a été suspendu suite à la disqualification d’un des deux candidats, l’américain Chevron, opposé à Energean, basée à Londres. Il n’a pas été remis en jeu même après la conclusion de l’accord d’octobre entre le Liban et Israël », explique encore l’experte.

Source: lorientlejour.com – Par Philippe HAGE BOUTROS